Une histoire de clés

Il m’est arrivé l’autre matin une aventure assez désagréable, alors que je sortais de la poste après m’être légèrement énervé contre la stupidité de la machine qui sert à affranchir les colis. J’ai eu une petite altercation avec une femme hautaine et élégante, qui refusa d’éteindre son moteur pendant qu’elle faisait la queue au distributeur de billets. L’échange s’est terminé par quelques noms d’oiseaux, encore que je doute de l’existence d’oiseaux dont le nom s’approche des qualificatifs peu flatteurs dont j’ai abreuvé cette péronnelle, et que je ne reproduirai pas ici pour ne pas m’aliéner les quelques hypothétiques lecteurs m’imaginant civilisé.

Je suis malheureusement affligé de l’esprit de l’escalier, et ce n’est que de retour chez moi que j’ai compris ce que je j’aurais dû faire. En gage de piètre consolation, je me suis plu à imaginer une autre issue à notre échange un peu vif.

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Et tout ça cause d’un vieux schnock qui a peur de se salir les poumons. Une chambre toute blanche, les murs matelassés, la porte fermée à double tour. Ils ont dû m’en foutre une sacrée dose pour que je sois dans un tel pâté. J’ai quand même eu un peu de mal à reconstituer tout ce binz.

Tout a commencé avec ce vieux qui enlevait le cadenas de son vélo, et qui m’a demandé d’éteindre mon moteur de bagnole pendant que je faisais la queue au distribanque. Soit disant que ça sentait mauvais, et que ça polluait. Première mauvaise idée, je n’aurais peut-être pas dû lui répondre d’aller se calmer en allant pédaler. Et je n’aurais pas non plus dû laisser la porte conducteur grande ouverte. Car voilà l’autre débris qui monte dans ma voiture, qui coupe le moteur, qui enlève la clé et qui la balance par dessus la grille de la gendarmerie. Et qui se casse tranquille, en me faisant un doigt d’honneur, par dessus le marché. 

Bien obligée d’aller sonner au portail de la maréchaussée. 

–Gendarmerie Nationale j’écoute ?

–Oui, c’est à propos de mon trousseau de clé de voiture qui est dans votre jardin.

–Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je vous rappelle que les plaisanteries vis à vis de la gendarmerie sont passibles de poursuites.

–Non non, c’est très sérieux. Un individu s’est emparé de mes clés de voiture et les a jetées par dessus votre grille.

–Il vous les a arrachées des mains ? 

–Non, je faisais la queue au distribanque de la poste, juste à côté, et il les a prises dans la voiture.

–Vous laissez les clés au volant pendant que vous faites la queue au distribanque ?

–J’en avais pour une minute.

–Et comment a-t-il su que vous aviez laissé la clé sur le contact ?

C’est là que j’ai fait ma deuxième grosse erreur. J’ai péché par honnêteté.

–C’est parce que j’avais laissé le moteur tourner. Je n’en avais pas pour longtemps.

–Vous savez que c’est passible d’une amende de 175 euros, de laisser son moteur tourner en pleine ville ?

–Oh, j’ignorais. Je suis désolée. Vous pouvez m’ouvrir s’il vous plait ?

–Restez à la porte, on va venir vous chercher.

Et je vois arriver un gendarme bien en chair, l’air peu aimable.

–Et où elles sont, ces clés ?

–Ben, le vieux il les a lancées par là.

–En plein milieu des massifs de fleurs.

Le voilà à quatre pattes en train de regarder. Il se relève avec mon trousseau à la main.

–C’est bien celles là ?

–Oui, merci, vous êtes bien aimable.

Mais, au moment où je tends la main pour les lui reprendre, 

–Holà, pas si vite. Qu’est-ce qui me prouve que ces clés sont à vous ?

–Ben, je les ai reconnues, non ?

–Et bien moi, si je vais au Louvre, je reconnais la Joconde, c’est pas pour autant qu’elle est à moi. Tout d’abord, vos papiers, et ceux du véhicule.

J’avais heureusement ma carte d’identité sur moi, mais, pour ceux de la voiture, normalement, ils sont dans la boîte à gants. Je lui explique, il me répond que ce n’est pas prudent. Et ce connard me garde ma carte d’identité pendant que je vais chercher les papiers. Pas de chance, on les avait sortis de la voiture la veille avec Hugo pour commander les vignettes crit’air. Et, évidement, cet imbécile de Hugo ne les avait pas remis à leur place. Me revoilà assez penaude dans le commissariat, après avoir attendu à nouveau 5 minutes à la porte, pour expliquer que je n’ai pas les papiers. Le pandore, toujours aussi peu souriant, m’accompagne jusqu’à la voiture pour relever le numéro d’immatriculation, puis on revient dans son bureau. Sans attendre 5 minutes à la porte cette fois, quand on est de la maison, on a quelques privilèges. Il se met à son ordinateur, plutôt à la machine préhistorique qui lui sert d’ordinateur, et rentre mon numéro d’immatriculation. Il lève la tête, beaucoup plus revêche tout d’un coup, et me dit

–Votre véhicule n’est pas immatriculé à votre nom. Je ne peux pas vous donner ces clés.

Je commençais à chauffer un peu. Je lui explique donc que cette voiture est immatriculée au nom d’Hugo, mon conjoint. Il me dit que celui-ci peut venir récupérer les clés du véhicule à la gendarmerie, dès qu’il veut, mais muni de ses papiers d’identité. Je téléphone donc à Hugo. Qui ne répond pas. Ce salaud ne répond jamais quand on a besoin de lui. Au bout du dixième essai, Monsieur accepte de décrocher. Je lui explique la situation, que je suis coincée à la gendarmerie et qu’il a intérêt à se ramener vite fait pour récupérer les clés de sa caisse.

–Pas question, je suis en réunion. Pas avant ce soir.

–Ecoute, je te passe le brigadier, il va t’expliquer lui-même la situation.

Je me voyais mal poireauter toute la journée dans le coin en attendant que Monsieur veuille bien se déplacer. C’était ma troisième mauvaise idée. J’avais simplement oublié qu’on s’était bien pris le chou le matin, et qu’Hugo était parti de fort méchante humeur. Ca me revient quand le gendarme, après quelques minutes, me rend le téléphone d’un air très très contrarié.

–Ce monsieur prétend ne pas vous connaître, et ne pas savoir ce que vous faîtes avec sa voiture.

C’est vraiment un enfoiré de première. Là, j’ai eu ma quatrième mauvaise idée. J’ai pété les plombs, engueulé le gendarme, l’ai traité de connard de pinailleur, et l’ai sommé de me rendre ces putains de clés, et plus vite que ça. 

–Bon, ma petite dame, on va se calmer, et en attendant que cette histoire soit éclaircie, on va vous mettre en garde à vue.

Cinquième mauvaise idée, prendre l’ordinateur sur le bureau et le fracasser par terre en hurlant. C’est là que mon cas s’est aggravé brusquement. L’autre prend le téléphone, appelle ses collègues en renfort, qui me mettent les menottes aux poignets. Je gueulais si fort que je commençais à m’en fêler les cordes vocales. C’est là qu’un de ses collègues intervient

–On a les moyens de calmer les hystériques dans votre genre, ne vous en faites pas,

et qu’il a appelé l’hôpital, en demandant le service des agités. Dix minutes plus tard, un mec en blouse blanche est arrivé, m’a fait une piqure. Et je me me réveille ici. J’espère qu’Hugo va rapidement venir me sortir de là, mais il va m’entendre. Et cette putain de bagnole qui est toujours sur le parking de la poste. La prochaine fois, je couperai le contact.

La gravitation quantique à boucle

On ne le sait peut-être pas trop dans les chaumières ni sur les rond-points, mais les deux grandes théories physiques du vingtième siècle, la mécanique quantique, qui s’intéresse à l’infiniment petit, et la relativité générale, qui s’intéresse à l’infiniment grand, sont fâchées à mort. Irréconciliables. La première a réussi l’exploit de mettre dans un même sac les trois forces fondamentales qui régissent le comportement des atomes et particules (électromagnétisme, interaction forte, interaction faible). Elle a eu le culot d’appeler cela le modèle standard. La seconde a réussi à expliquer assez bien la quatrième force, à savoir la gravitation.

Les physiciens sont gens posés, sérieux, peu tenants du conflit. Surtout lorsque celui ci surgit au sein d’une même famille. En l’occurence, il n’est même pas question d’héritage, les uns se réclamant de Bohr, Heisenberg, Schrödinger et compagnie, les seconds du seul Grand Albert. Mais ils sont forts chagrinés de cette fâcherie, et font tout leur possible pour rabibocher ces deux camps qui s’observent en chien de faïence. On ne compte pas les missions diplomatiques, les conférences au sommet, les émissaires spéciaux et plénipotentiaires. Et chacun, donc, de proposer son plan de paix.

Jusqu’ici, deux tentatives semblent avoir les faveurs des savants. La théorie des cordes supersymétriques, d’une part, et la gravitation quantique à boucle, de l’autre. Qu’on ne me demande pas de quoi il s’agit, je n’en ai que de très vagues idées, le peu que j’en sais me provient de certaines pages wikipedia, ou de videos glanées au hasard sur internet.

On trouve en effet sur la toile une foultitude de petits films très bien faits, où des jeunes gens méritants, pleins de bonne volonté, essayent d’expliquer à un vaste public les différentes approches. La tâche n’est pas aisée, les théories en questions s’appuient sur des équations à peu près indéchiffrables, des océans d’intégrales et d’opérateurs différentiels. Quiconque a essayé de regarder de près les équations de Maxwell sur l’électromagnétisme sait que la plus élémentaire de ces théories est déjà assez prise de tête. Et même la relativité restreinte, qui se situe pourtant à des années lumières de la générale, n’est pas si facile à appréhender.

Mais rendons hommage à nos jeunes vulgarisateurs de faire un énorme effort pour rendre le sujet abordable dans ses grandes lignes, tout en ne cachant rien des difficultés conceptuelles sous-jacentes.

Je m’attardais ainsi l’autre jour sur une vidéo qui présentait la seconde de ces approches, après une autre, faite par le même vidéaste, consacrée à la première. Il mettait assez bien en exergue, me semble-t-il, les différences entre les deux théories. Et, bien que restant très loin des détails techniques qui auraient rendu l’exposé incompréhensible pour tout non spécialiste, il s’autorisait à soulever le rideau, qu’on puisse se faire une idée de l’énorme quantité de mathématiques abstraites qui se cachait derrière chacune.

Sur Youtube, chacun peut laisser des commentaires sur les vidéos. En l’occurence, sur celle-ci, la plupart des commentateurs remerciait l’auteur pour la clarté de ses exposés, ou éventuellement posaient des questions sur certains points restés obscurs. Mais l’un d’entre eux m’a laissé sans voix. Je n’en cite pas l’auteur par commisération.

« Je trouve cette théorie plus logique que la théorie des cordes ».

Diantre ! Et moi qui trouvait plus sympa la théorie des cordes ! Face à l’autre qui n’est même pas super en quoi que ce soit. Ils auraient pu se fatiguer à faire des superboucles, au moins. Même pas ! Mais, bon, un avis d’expert, y’a pas à discuter. De quoi partager les scientifiques qui depuis de nombreuses années essayent de faire le tri entre ces deux théories, s’acharnent à imaginer des expériences qui pourraient les discriminer, se creusent le citron pour chercher des conséquences différentes et mesurables de ces deux approches. Que n’avaient-ils songé à interroger la toile ? Un petit sondage, et hop, la vérité surgit ! Pourquoi chercher plus loin ? On fait un vote, sur internet c’est facile à organiser. Question simple : gravité quantique à boucle, réponse A. Théorie des cordes, réponse B. Sans avis, réponse C. On met directement à la poubelle les réponses C, on regarde le résultat. Si c’est A, on vire de l’université et des instituts de recherche tous les guignols qui bossent sur la théorie des cordes, supersymétriques ou pas, idem si c’est la réponse B pour ceux qui se sont perdus dans les boucles de la gravité quantique. On va faire un max d’économies, et, au moins, le problème sera réglé une fois pour toutes.

A vrai dire, il est facile de se moquer du jeune homme qui a fait cette réponse (c’est en effet un jeune homme, sa qualité de jeune, ou d’homme, n’est en l’occurence dans mon esprit une circonstance ni aggravante, ni atténuante). D’autres bien plus en vue lui montrent la voie. On vient de voir récemment à Davos un président états-uniens faire des déclarations fracassantes sur l’évolution du climat, et, de part le monde, des foules d’imbéciles opinent du bonnet, renvoyant les experts du GIEC dans des cordes même pas quantiques.

Je sais bien que la parole des experts se substitue de plus en plus souvent à la démocratie, que d’innombrables faux experts, en économie en particulier, nous racontent depuis des décennies des sornettes pour nous faire admettre l’inacceptable, l’enrichissement sans fin d’une frange infinitésimale de la population mondiale, en nous expliquant que c’est pour le bien de tous. Je sais aussi ce qu’il y a d’insupportable dans l’arrogance de ceux qui savent, qui écrasent de leur savoir et de leur morgue le populo, auquel il ne reste plus qu’à aller faire cuire des merguez sur des rond-points pour se faire entendre, ou à voter pour les rejetons de nazillons négationnistes passés maîtres dans l’art de transformer les vessies en lanternes. L’expertise n’a pas bonne presse, la vérité d’aujourd’hui peut être alternative. Et la terre reste plate dans les cerveaux d’une partie importante de la population.

La vérité mise aux votes, ce n’est à vrai dire pas si nouveau. Ce n’est pas né d’internet, ni des officines poutiniennes et ou des tweets trumpiens. Pour se rassurer, rappelons qu’en 1897, l’assemblée générale de l’Indiana s’apprêtait à voter une loi « pour introduire une vérité mathématique et offerte comme contribution à l’éducation et utilisée uniquement par l’État de l’Indiana sans paiement de royalties, sous réserve qu’elle soit acceptée et adoptée par la session parlementaire officielle de 1897 »Cette loi stipulait entre autre que la valeur de pi était de 3,2. Ceci suite à une campagne et un lobbying intense d’un mathématicien amateur local, Edwin J. Goodwin, qui avait réussi à faire publier quelques années auparavant, en 1894, dans la revue « The American Mathematical Monthly », sa propre résolution de la quadrature du cercle (il est vrai qu’avec une telle valeur, le problème est infiniment plus facile à résoudre). Il avait aussi une version publiée de la duplication du cube et de la trisection de l’angle, trois problèmes fameux remontant à la plus haute antiquité. Ce n’est que par la présence fortuite d’un mathématicien sérieux, de passage ce jour là à l’assemblée, que cet état a évité de se couvrir à jamais de ridicule.

Ce Mr Goodwin avait en effet un petit souci. Quelques années auparavant, en 1882, un certain Ferdinand von Lindemann avait prouvé la nature non algébrique de pi, montrant ainsi l’impossibilité définitive de la quadrature du cercle. L’impossibilité de la duplication du cube et de la trisection de l’angle avait, quant à elle, été démontrée en 1837 par Pierre-Laurent Wantzel. La revue américaine en était à son premier numéro, l’information ne voyageait sans doute pas aussi vite que de nos jours, on imagine la rareté des bibliothèques indianesques bien documentées à cette époque. On peut donc trouver quelques excuses, tant à la revue qu’à Goodwin, pour avoir commis et publié ce résultat. Mais, trois ans après sa publication, Goodwin avait dû recevoir une montagne de courrier lui mettant le nez sur ses erreurs. Il a donc trouvé sans doute plus prudent de faire établir par un vote une vérité alternative, proposant à pi une valeur qui, pour n’être exacte que dans l’Indiana, aurait cependant permis localement de construire à la règle et au compas un carré de la même surface qu’un cercle. On imagine les fermiers du coin avides de pouvoir mettre en pratique un savoir aussi indispensable à leur activité.

La mésaventure indianesque est sans doute moins probable aujourd’hui, grâce à internet. Ou peut-être plus probable, grâce à internet. Allez savoir, difficile d’avoir un avis tranché sur la question. On trouve sur la toile des experts en toute chose, des authentiques et des autoproclamés. Des savants et des délirants. Des réfutations de toutes les expertises, des platistes, des créationistes, des gogos prêts à croire à peu près n’importe quoi, des crétins prêts à donner leur avis sur tout. Difficile de faire le tri.

Mais une chose est sûre, avant de donner mon avis public, visible par tout un chacun, sur la gravitation quantique à boucles, je me méfierais du bonhomme qui va tomber dessus, et se foutre de moi. D’autant que je ne suis pas sûr que l’assemblée nationale soit prête à promulguer une loi pour soutenir mon point de vue.

SDF

Le SDF, c’est le Saudi Development Fund. En français, le fonds de développement saoudien. C’est une œuvre charitable, fort bien dotée, qui vient en aide aux populations déshéritées. Aux populations musulmanes déshéritées. Aux populations musulmanes sunnites déshéritées. Elle le fait avec beaucoup de générosité, en construisant pour le salut des âmes des mosquées toutes neuves, en retape aussi quelques unes plus anciennes.

C’est ainsi qu’à Sarajevo elle a pu déployer tout son talent et sa puissance financière. On sait que cette ville au milieu des Balkans a été pilonnée sans relâche par ses ex-concitoyens serbes, depuis les montagnes qui ceinturent la ville et qui en font l’une des plus belles de la région.

Les canons serbes ont détruit sans trop de distinction les restes de domination turque et austro-hongroise, ainsi que les reliques de la période communiste. On n’ose dire soviétique, tant le régime titiste était en mauvais termes avec son grand voisin du nord. Mais, en ce qui concerne l’architecture, il partageait avec lui la même volonté d’exaltation de la laideur, le même mauvais goût bétonnant. Au moins, à Sarajevo, n’ont-ils pas laissé de ces palais de béton grandiloquents qui témoignaient partout ailleurs de la puissance du parti et de sa foi en l’homme nouveau.

Bref, les Serbes ont tout cassé. Mais les Saoudiens sont venus réparer. Pas tout. Ils sont soigneusement reconstruit le quartier ottoman autour de l’ancien caravansérail, si bien qu’on se croirait là dans une Turquie de pacotille, et le quartier attire maintenant le touriste comme le baklawa la mouche, avec ses boutiques de plateaux en cuivre martelé, ses services à thé et autres loukoums dont on trouve le pendant presque à l’identique dans la médina de Tunis ou le bazar d’Istanbul. Mais, surtout, ils ont construit, ou reconstruit, des mosquées, avec une telle densité qu’elles en sont à se toucher l’une l’autre.

Visiblement, ses ressources ne sont pas infinies. Le SDF n’a pas trouvé les fonds nécessaires pour offrir à la ville de Sarajevo une station d’épuration digne de ce nom. La Miljacka, la rivière qui traverse la ville, est un véritable égout : l’odeur qui s’en dégage ne laisse aucun doute sur l’origine des liquides qu’elle charrie. Mais le salut des âmes prime sur la santé de la population, et de toutes façons, Dieu viendra à la fin des temps (de plus en plus proche, Greta Thunberg nous le rappelle à juste titre), pour tout nettoyer.

J’aime bien les mosquées. Je ne partage pas l’aversion d’Eric Zemmour et de ses copains du rassemblement national pour tout ce qui m’est un peu étranger. Je les aime bien (les mosquées, pas les copains de Zemmour), sauf la nuit, lorsque les haut parleurs saturés hurlent l’appel à la prière du matin et me tirent sans ménagement des bras de Morphée. A cette heure là, je suis moins multiculturel. Mais j’aime surtout les vieilles mosquées, les vraies, les modestes, celles qu’on débusque au coin d’une rue à Beyoglu, dans la médina de Sousse, ou encore un peu partout dans la campagne bosniaque. Comme d’ailleurs les églises, catholiques ou orthodoxes. Je ne fréquente pas trop ni les unes ni les autres, mon athéisme viscéral ne m’y incitant que modestement.

Mais ici, à Sarajevo, trop, c’est trop. Surtout qu’avec les mosquées saoudiennes viennent les femmes en niqab, cet espèce de suaire qui ne se distingue de la burqa que par l’absence de moustiquaire devant les yeux (comme quoi les saoudiens sont moins attentifs au confort de la gent féminine que les talibans afghans, qui, en plus, poussent la sollicitude jusqu’à lui éviter l’école, où les petites filles attrapent des poux, alors qu’il est bien mieux pour elles de se marier à l’âge de douze ans, avec des hommes de quarante ans qui sauront leur apporter confort et protection).

On ne voit pas de niqab ailleurs en Bosnie. Pas même de hidjab. On croise bien quelques grand-mères couvertes d’un fichu, et celles ci sont indifféremment chrétiennes ou musulmanes. Mais, à Sarajevo, les fantômes en noir sont arrivées (fantôme est un nom féminin, dans ces contrées). Avec les fonds saoudiens et leurs médersas salafistes. Et, dans les bagages du SDF, l’islamisme, qui est à l’islam ce que le national-socialisme est au socialisme, comme le disait récemment un intellectuel algérien dont je ne retrouve plus le nom.

La fameuse coexistence pacifique entre les trois entités bosniaques ne va plus durer très longtemps. Il est vrai qu’elle a été bien mise à mal il y a vingt-cinq ans, les Serbes, orthodoxes bosniaques, ayant quant à eux décidé de faire chambre à part, le ménage à trois n’étant plus trop leur truc.

En face, l’union européenne a aussi apporté quelques fonds (visiblement beaucoup plus modestes) pour reconstruire d’autres parties de la ville. Par ailleurs, des capitaux venus on ne sait d’où ont permis d’ériger, dans les quartiers excentrés, ces immeubles de béton et de verre qui sont partout la signature du capitalisme triomphant. Parmi eux, rutilant, celui d’Al Jazira, ce dernier certainement bâti sans l’aide des fonds saoudiens. Mais le Quatar n’est pas complètement démuni lui non plus, qui sait mener de son côté une propagande tout aussi efficace par d’autres moyens.

Le Vatican, quant à lui, semble disposer ici de ressources très très limitées. Tout du moins dans le domaine architectural et urbanistique. On peut sans doute s’en réjouir, je doute qu’un Sacré Cœur sur l’une des collines de Sarajevo soit du plus bel effet.

Car il reste en périphérie de la ville quelques collines à rebâtir et à bétonner (je ne parle pas des montagnes chères à nos amis serbes d’où ils pouvait se livrer à des exercices de balistique appliquée). L’une d’entre elle est occupée par les restes d’un palais austro-hongrois dont il ne reste que les murs extérieurs, et qui devait avoir fière allure. C’est peut-être là que logeait François Ferdinand avec sa femme Sophie, avant d’aller de faire occire en ville par un certain Gavrilo Princip, dont, sans cet incident, l’histoire n’aurait sans doute pas retenu le nom ; à l’époque déjà, les Serbes cohabitaient assez mal avec leurs voisins, qu’ils soient musulmans ou catholiques.

Malheureusement, ni l’Autriche, ni la Hongrie ne se soucient de leur héritage colonial. Ils n’ont à leur décharge pas de pétrole dans leur sous sol, et des dirigeants bien plus occupés à bâtir un monde nouveau débarrassé des lubies démocrates et autres billevesées droit de l’hommistes qu’à s’occuper des vestiges du passé, quand bien même ceux ci pourraient témoigner de la grandeur déchue de nations dont ils se rêvent en nouveaux führers.

Bref, il ne reste ici de visible que le SDF. Avec le salafisme dans ses bagages. On peut le regretter. Mais, surtout, s’en inquiéter.

Le pont sur la Drina

Au temps où les obus pleuvaient sur Sarajevo, Mostar et autres villes bosniaques, j’ai cru que le pont de Mostar était ce fameux pont sur la Drina, rendu célèbre par le roman d’Ivo Andric paru pendant la guerre (la grande, celle de 39-45). J’ai lu ce livre il y a déjà pas mal de temps, et ma mémoire étant ce qu’elle est, j’avais fait un amalgame inexcusable. Inexcusable aux yeux des serbes (en vérité de la seule serbe avec laquelle je n’en ai jamais parlé, un soir dans un café de Belgrade). C’est la Neretva qui coule à Mostar. Elle se jette dans l’Adriatique, pas très loin de Dubrovnik, après avoir coulé essentiellement en Bosnie. La Drina, elle, se jette dans la Save, qui se jette dans le Danube, qui se jette dans la mer noire. Pas du tout la même chose, on en conviendra. Le roman d’Andric se passe à Visegrad, qui s’écrivait Vichegrad autrefois et dans la traduction que j’avais eue entre les mains. C’est aussi en Bosnie, mais dans la république Serbe de Bosnie (la Republika Srpska, pour ceux qui savent prononcer le Serbe), et à une encablure (il faut quand même un très long câble) de la frontière avec la vraie Serbie.

Le roman, paru en 1945 mais achevé apparemment en 1942, raconte la vie de cette petite ville de Serbie au temps de l’occupation turque, qui sera bouleversée par le changement d’occupant (les autrichiens remplaçant les ottomans) à la fin du dix huitième siècle. Toute la vie de la commune se commente sur la place centrale du pont, lequel sera détruit pendant la première guerre mondiale. Celui de Mostar tiendra plus longtemps, mais les deux se portent aujourd’hui parfaitement bien, autant que peut en juger mon œil profane (je suis passé plusieurs fois sur le pont Morandi de Gênes, la dernière fois en en 2017, il ne m’avait pas semblé si mal portant, et il s’est écroulé en 2018;  il ne faudrait donc pas trop se fier à mon expertise en la matière).

On peut s’étonner que ces deux ponts aient été reconstruits à l’identique, si longtemps après. Il en est bien d’autres, dans les Balkans, et autrement célèbres, qui ont disparu à tout jamais : il ne reste presque rien du pont de Trajan sur le Danube en Roumanie (alors que les roumains que je connais se souviennent souvent du nom de son architecte), le plus long du monde pendant près de mille ans, ni de celui de Constantin sur le même Danube, entre la Roumanie et la Bulgarie, lui aussi le plus long du monde à son époque, et l’un des plus longs de tous les temps. Mais ce dernier n’a résisté que 40 ans, ce qui explique en passant qu’on puisse avoir plus ou moins au même endroit deux ponts les plus longs du monde. Il ne reste pas non plus grand chose du pont du Gard ; à sa décharge, il n’est pas dans les Balkans.

Mais chacun de ces deux ponts, qui n’ont aucune prétention à battre des records de longueur, raconte à sa manière une histoire différente. Celui de Mostar est un témoignage de la résilience bosniaque. Contrairement à Sarajevo, ce ne sont pas les Serbes qui sont responsables des dégâts, mais les Croates, quand ils canardaient allègrement leurs désormais compatriotes bosniaques musulmans. Celui de Visegrad est un témoignage de la grandeur serbe, et un hommage à leur seul prix Nobel de littérature. Ils constituent chacun un point d’attraction touristique. De ce que j’ai pu constater, c’est beaucoup plus efficace pour celui de Mostar, d’autant plus qu’une partie de la ville ancienne a été reconstruite autour de lui. Une partie seulement. Il reste ailleurs dans Mostar pas mal d’immeubles éventrés par les obus, d’autres criblés de balles, d’autres encore dans un piteux état, témoignage de la grandeur de l’architecture titiste. Visegrad, par ailleurs, n’offre que peu d’intérêt touristique à part son pont, et un centre culturel Ivo Andric construit sur une île de la rivière. Mais les gorges de la Drina, qui débouchent à Visegrad, sont parmi les plus impressionnantes qu’il m’ait été donné de parcourir.

D’Ivo Andric, pour ceux qui ne le connaissent pas, je recommanderais surtout les chroniques de Travnick, paru en même temps que le pont sur la Drina, qui se passent aussi en Bosnie, toujours à l’époque Ottomane, et qui racontent l’arrivée dans la ville d’un consul envoyé là par Napoléon (le premier). Apparement, Travnick était à l’époque le siège du pouvoir bosniaque, c’était en tout cas là que siégeait le vizir. Le roman commence par la description de l’arrivée du consul, qui chemine avec ses mules le long de défilés sans fin et de gorges profondes perdues dans les montagnes. On s’imagine à la lecture qu’il s’agit là d’un effet littéraire, exagération typique d’un auteur à moitié oriental. Mais il suffit de traverser la Bosnie pour se rendre compte qu’il n’y a là aucun effet de plume. La Bosnie centrale n’est qu’une suite de défilés tortueux, au milieu de montagnes couvertes de forêts quasi impénétrables. Etre nommé consul dans un tel endroit ne devait sans doute pas être perçu comme une glorieuse promotion. Ou alors, c’était un début de carrière, prometteuse pour peu qu’on en sorte vivant. Les chroniques se lisent comme un roman (c’en est un), mais elles reposent sur les notes de l’adjoint du consul, Amédée Chaumette des Fossés, qui laissera un compte rendu détaillé de sa mission en 1808-1809. Un type par ailleurs intéressant, cet Amédée, plus concerné par l’ethnologie et la géographie que par sa carrière diplomatique, qui s’en ressentira. Allez faire un tour sur Wikipedia pour faire connaissance avec le bonhomme, et profitez en au passage pour leur donner quelques thunes, ils en ont besoin et Wikipedia est quand même une belle idée. On plonge avec Andric dans un monde pas si lointain, où l’on voit les trois communautés, musulmanes, catholiques et orthodoxes cohabiter tant bien que mal. Il existe d’autres textes d’Andric autour du même sujet, par exemple dans le recueil de nouvelles « L’éléphant du vizir », où l’on voit que la domination turque sur la région n’était pas perçue avec beaucoup plus de sympathie par les populations locales que les diverses colonisations ailleurs dans le monde.

Ce fragile équilibre, maintenu sous la contrainte sous les dominations turques, autrichiennes et communistes (avec la courte parenthèse du royaume de Yougoslavie de l’entre deux guerres) n’était pas si stable que la doxa post-guerre bosniaque veut bien nous le faire croire. Dès qu’on sort des villes principales, les vallées sont soit musulmanes (on dit aujourd’hui bosniaques), soit catholiques (on dit croates), soit orthodoxes (on dit serbes). Les communautés vivaient les unes à côté des autres, mais on ne sent pas vraiment une profonde symbiose entre elles. Ivo Andric nous le fait toucher du doigt, mais il faut se rendre sur place pour s’en rendre vraiment compte. Et il est regrettable que, comme partout ailleurs, la parenthèse communiste n’ait pas réussi à effacer ces antagonismes essentiellement religieux (tout le monde parle la même langue, même si les uns l’écrivent en cyrillique, les autres en latin, et qu’on trouve d’innombrables inscriptions en alphabet arabe un peu partout). Dans la région, la religion n’est pas tant l’opium du peuple qu’une dealeuse d’armes et une souffleuse sur braises.

Pour s’en faire une image plus récente, on peut préférer les livres de Mathias Enard. « La perfection du tir » est l’histoire d’un sniper qui pourrait se passer à Sarajevo, mais dont le lieu n’est pas vraiment précisé (d’aucuns le situent plutôt à Beyrouth). Par contre , « Zone » décrit avec plus de détails la guerre en Bosnie. Des crânes rasés orthodoxes d’extrême droite, venus de Russie, d’Ukraine (plutôt de l’est d’icelle), de Grèce, de Roumanie, venus donner un coup de main à leurs copains serbes, tandis qu’en face des crânes rasés catholiques d’extrême droite sont venus faire le coup de feu depuis l’Italie, la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Ukraine (plutôt de l’ouest), la Pologne, secondés même par quelques crânes rasés protestants d’extrême droite venus des pays scandinaves, ce n’est pas parce qu’on n’a pas de coreligionnaires dans le coup qu’on n’a pas le droit de s’amuser aussi un peu. Et, au milieu, des barbus musulmans d’extrême droite (on n’a pas trop d’informations sur leur coiffure, attendus qu’ils se couvrent soigneusement le crâne de turbans et de keffiehs, le soleil tapant parfois dur dans la région), venus eux de Tchétchénie, du proche orient, du moyen orient, d’Afrique du nord, d’Afghanistan. Tout ce joli monde venu jouer avec des canons, des kalachnikovs, des fusils d’assaut, des grenades. Car c’est un endroit magnifique pour faire la guerre : des forêts, des ravins, des montagnes, des tanks, et juste assez de civils au milieu pour perpétrer tranquillement quelques génocides et crimes de guerre.

Entre les belligérants, des casques bleus onusiens, dont la mission est apparement de ne rien faire, de laisser s’entretuer tous ces braves gens, et de laisser massacrer les civils, ils sont là pour ça. C’est à l’immobilité du sourcil qu’on reconnaît le casque bleu professionnel. Il semblerait que le but premier des troupes d’intervention ait été de laisser les choses traîner le plus possible en longueur : les primes d’OPEX (d’opération extérieure), toujours généreuses, cessent aussitôt le retour à la routine de la caserne d’origine.

Les crânes rasés sont depuis repartis s’amuser ailleurs, en Ukraine ou en Syrie pour certains d’entre eux. D’autres sont passés à d’autres activités, car, l’âge venant, avec les problèmes d’articulation, de tension, de prostate, la guerre devient un peu moins marrante. Ils se battent maintenant sur Internet, c’est infiniment plus confortable et moins dangereux : on ne risque pas de voir débouler des procureurs mandatés par des instances internationales venus vous chipoter sur le nombre de balles dans la nuque, d’enfants assassinés, de gamines et de grand mères violées. Et sans conteste plus efficace: ils sont maintenant au pouvoir dans un nombre respectable d’ex-démocraties, en ont pourri pas mal d’autres, et se rapprochent sérieusement des manettes dans celles qui restent.

En temps de paix, la Bosnie est à part cela le plus beau des pays des Balkans que j’aie traversé (si on s’accorde sur le fait que la Grèce ne fait pas partie des Balkans, et qu’on n’est pas trop regardant sur les détritus qui jonchent les bas-côtés). C’est assez loin de chez moi. Et pour s’y rendre, c’est compliqué. On peut suivre les recommandations de Greta Thunberg et refuser d’y aller en avion. Mais en bateau, ce n’est pas très simple, le faible débit de la Neretva n’autorisant sans doute pas le voilier de la princesse de Monaco, ou de son fils, à remonter très très loin à l’intérieur des terres. On préfèrera un kayak, à tirant d’eau moins important, plus accessible à un budget standard, mais demandant plus de biceps. On peut aussi choisir le vélo. C’est une option que je me garderais bien de recommander. Outre qu’au vu du relief, il y faut les mollets d’un colombien de 20 ans assez entrainé, les Bosniaques ont une interprétation si personnelle des contraintes du code de la route que l’espérance de vie d’un cyclo-touriste dans la région ne doit pas dépasser quelques heures. Quant au train, il y a bien des lignes de chemin de fer un peu partout, mais les herbes qui envahissent la voie laissent peu d’espoir quant à la régularité du trafic. Il reste sans doute à faire comme moi, utiliser un véhicule automobile à combustion thermique, en souhaitant que son bilan carbone soit assez modeste comparativement aux autres moyens de transport, pour n’en pas trop rougir de honte, ou que notre entourage ait la décence de ne pas le questionner avec trop d’insistance au retour.

Une dernière option, plus respectueuse de l’environnement et moins climatocidaire, c’est de faire un tour à sa librairie préférée et se procurer les ouvrages d’Ivo Andric ou de Mathias Enard (il existe sans doute aussi pas mal d’autres auteurs qui parlent du pays, mais je dois confesser que je n’en ai lu aucun).

Vélocide

Sergey Brin et Larry Page étaient dans les années 1990 deux jeunes étudiants en thèse d’informatique à l’université de Stanford. Ils se sont intéressés aux propriétés des grands graphes, et ont raffiné certains algorithmes permettant de donner des valeurs approchées de la mesure invariante pour la marche aléatoire sur le graphe (pour ceux auxquels ces mots ne veulent rien dire, sachez que ça n’a aucune espèce d’impact sur la compréhension de ce qui suit). Ils en ont déduit une manière de ranger les sommets de ce graphe par ordre d’importance, le « pagerank », ont eu l’idée d’en faire un moteur de recherche de pages web. En 1998, ils ont fondé ensemble la société Google.

Dans le monde mathématique, il est de bon ton de dire que c’étaient des étudiants de mathématique. Rien n’est plus faux. Je connais pas mal de mathématiciens de par le monde, mais je n’en n’ai rencontré aucun qui ait fait fortune. Jim Simons, topologue et à moitié physicien, a bien fait fortune dans les « hedge funds », mais, d’une part, je ne l’ai jamais rencontré, et, de l’autre, il fait plutôt figure d’exception. On connaît des mathématiciens reconnus qui ont pas mal de succès médiatique, voire politique, mais de là à dire qu’ils ont fait fortune, vraiment fortune, il y a un pas difficile à franchir. Un mathématicien qui se lance dans les affaires a les plus grandes chances de tomber à côté de la plaque, les qualités du mathématicien étant sans doute assez éloignées de celle du start-upeur. Apparement, ce qu’il faut pour faire fortune, plus que de profondes idées, c’est un flair solide pour les opportunités du marché, et savoir convaincre plus riche que soi de mettre quelques thunes dans l’aventure. Talent qu’avaient sans conteste messieurs Brin et Page.

Je ne connais pas grand chose de leur vie, au delà de ce qu’on peut glaner sur le net, mais je n’y ai rien trouvé qui puisse m’expliquer cette haine du vélo et des cyclistes que j’ai découvert à mon corps défendant, découverte dont il me semble important de vous faire part.

Dans le monde de Google, il y a un outil fort utile : Google maps, qui vous propose des itinéraires en voiture, à pied, en transports en commun, ou en vélo. C’est sur ce dernier point que je tiens à lancer une alerte solennelle : vous qui pédalez, ne suivez jamais les itinéraires proposés : c’est un piège machiavélique.

On y trouve tout d’abord des propositions de trajet absolument délirantes. Faites le test en demandant à Google-vélo comment aller du Boulou, dans les Pyrénées orientales, à Figueras, en Catalogne. Il vous proposera un trajet dont les débuts paraissent raisonnables, passant par la Illas, puis le col du Portal, puis, à partir de là, il vous propose pour redescendre un sentier qu’aucun cycliste doué de raison (ils ne le sont pas tous) n’aurait l’idée d’emprunter. Il ne vous reste qu’à descendre en marchant à côté du vélo, tous freins serrés, en espérant que son poids, surtout s’il est chargé de matériel comme celui de tout cyclo touriste qui se respecte, ne vous entraîne pas au fond d’un ravin où, si vous avez de la chance, vous ne vous en tirerez qu’avec quelques fractures bénignes.

Vous pouvez imaginer là que ce pauvre système fait ce qu’il peut, il ne cherche qu’à vous éviter la nationale qui longe l’autoroute, puis passe par le col du Perthus et le village de la Jonquera du côté espagnol. Comme je suis plutôt d’un naturel accommodant et positif, c’est ce que je me disais en descendant prudemment à côté de mon vélo. Mais d’autres indices m’ont incité à suspecter une malignité plus sournoise.

Il y a en Espagne (y compris en Catalogne, qui, à l’heure ou j’écris, en fait encore partie), de magnifiques trajets cyclistes, les « vias verdes ». Ce sont d’anciennes voies de chemin de fer réhabilitées pour en faire des trajets de cyclo-tourisme. Elles sont souvent assez longues (on peut enchaîner des bouts de 150 km), bien empierrées (rarement goudronnées, il est déconseillé de les emprunter avec des jantes de 26 mm et des boyaux gonflés à 8kg), tout à fait adaptées au randonneur cycliste : elles serpentent avec une pente toujours inférieure à 2%, empruntent ponts, tranchées et tunnels, se faufilent à travers les collines, avec souvent de nombreux passages ombragés. Elles sont gérées par la RENFE, la SNCF espagnole, qui a fait là un travail remarquable, s’éloignant sans doute là de sa mission première, à notre grande satisfaction. La SNCF pourrait s’en inspirer, qui laisse un magnifique patrimoine d’ouvrages d’arts s’ensevelir doucement sous les ronces.

Les vias verdes espagnoles n’ont qu’un défaut majeur : elles sont très mal signalisées et il faut chercher avec insistance sur Internet pour en découvrir certaines qui correspondent plus ou moins au trajet que vous souhaitez faire. Il n’est pas toujours facile non plus d’en trouver l’accès. Mais elles existent, et c’est leur principale qualité. Ne comptez pas sur Google maps pour vous les signaler. Il y en a ainsi une magnifique qui traverse une partie de l’Andalousie, la via verde del aceite, d’autant mieux venue que l’Andalousie est une région fort accidentée, relativement chaude aux mois de juin et juillet. Elle vous permet de cheminer de Jaen jusqu’aux environs de Séville sans aucun effort, ou presque, alors qu’elle chemine souvent à plus de 1000 mètres d’altitude. Un vrai bonheur. Elle a cependant un gros défaut : elle n’indique pas les points d’eau en avance, si bien qu’il nous est arrivé de grimper au village situé tout en haut d’une colline, par 40° et avec une pente de 14%, pour chercher de l’eau qui se trouvait juste 2km plus loin, sur le chemin, à l’ombre et sans effort.

Ceci dit, cette voie verte est clairement répertoriée comme un itinéraire cycliste. Google devrait être au courant. Cheminant dessus, j’ai eu l’idée saugrenue de demander à Google maps un itinéraire cycliste pour rejoindre l’extrémité de la via verde. Il n’a eu de cesse de vouloir me la faire quitter, de me proposer des itinéraires délirants, sur des pistes caillouteuses qui escaladaient le moindre sommet escarpé en plein soleil, bref de vouloir transformer cette balade très agréable en enfer cycliste. Expérience répétée plusieurs fois avec des résultats identiques. Google n’aime pas les cyclo touristes, c’est confirmé.

Ce problème se présente avec beaucoup moins d’acuité dès qu’on franchit la frontière portugaise, Google ayant décidé qu’il était impossible d’y circuler en vélo. Il n’y est d’ailleurs pas non plus très généreux en propositions de voyages en transports en communs. Surtout s’il s’agit de chemins de fer. Il semble qu’il y ait là une part d’ostracisme délibéré, contre lequel un gouvernement lusitanien un peu consciencieux devrait sans doute se rebeller.

On peut ne pas aimer aimer les gens, c’est le droit de chacun, y compris des programmeurs de Google. Moi-même, malgré mon caractère bonasse, je ne suis par exemple pas trop fan de certains présidents américains. De là à tenter d’assassiner ces gens qu’on n’apprécie que modérément, il y a un pas que ces messieurs de Google n’auraient pas dû franchir. Je n’accuse pas sans preuve. Et je livre ici une expérience personnelle, dont je suis convaincu que, bien qu’assez risquée, elle pourrait être reproduite par beaucoup d’autres. J’ai fait l’erreur de demander à Google maps de nous trouver un itinéraire pour sortir de Valence en direction d’Albacete, ville moyenne perdue au milieu de la Manche, dans le sud de la Castille. Ce qu’il m’a proposé, c’est de prendre l’axe rapide à 4 voies qui ceinture la ville, en insistant bien pour que je serre à gauche, de façon à prendre la bonne direction au prochain échangeur. Avec des camions et des voitures roulant à plus de 100 km/h de chaque côté, il nous semblé raisonnable, à mon épouse et à moi même, pour une fois parfaitement d’accord, de ne pas suivre cette suggestion. Mais, nous étant engagés imprudemment sur la voie d’accès (n’ayant pas réalisé qu’elle nous amenait à une bretelle autoroutière), il a fallu que nous passions notre vélo (un tandem lesté de bagages, qu’il a fallu d’abord démonter) par dessus la barrière de sécurité, que nous lui fassions dévaler un talus et le pousser à travers un terrain vague pour lui faire rejoindre un endroit plus calme. Quiconque aurait suivi les conseil de Google maps sur ce coup là était sûr de faire la une du journal local le lendemain matin (El Punt, me semble-t-il), avec quelques photos morbides de vélo éclaté sur la calandre d’un 35 tonnes lancé à pleine vitesse, le corps du cycliste n’ayant pas encore été entièrement reconstitué par le service de médecine légale de la province.

Il me semble qu’on y peut voir là une tentative caractérisée d’assassinat. Eussé-je été états-unien, j’aurais pris un avocat pour poursuivre l’entreprise en justice, histoire de faire cracher à Messieurs Brin et Page quelques uns des millions dont ils ne savent pas quoi faire (ils en ont des dizaines de milliers, alors que moi, avec un seul, j’ai quelques idées qui pourraient sérieusement améliorer mon ordinaire). Je suis malheureusement d’un naturel passif et procrastinateur (ce qui est sans doute le pendant négatif de ma bonassité), et de surcroit non états-unien, carence dont j’arrive à me consoler. Je me contenterai d’avertir mes concitoyens cyclistes du danger qu’il y a à suivre aveuglément les conseils prodigués gracieusement sur le web. Cet avertissement vaut sans doute bien au delà du cercle étroit des cyclo-touristes.

Le voleur

L’intelligence artificielle a encore quelques progrès à faire. Un mien collègue, à l’heure de proposer les programmes de maths de l’année suivante, faisait remarquer que, plutôt que de mettre la mettre à toutes les sauces dans les années à venir, on serait bien inspirés de s’inquiéter sérieusement de la disparition critique de l’intelligence naturelle.

S’il est un domaine où cette intelligence naturelle peut encore s’exercer, c’est dans le métier de libraire. C’est sans doute ce qui le met en difficulté, l’intelligence n’étant pas une valeur porteuse ces derniers temps. Exercé avec professionnalisme et compétence, ce métier permet au chaland que je suis de faire de réjouissantes découvertes. C’est ainsi qu’Ombre Blanche, ma librairie préférée (je ne touche aucune espèce de rémunération pour cette publicité gratuite), sait mettre en avant sur ses présentoirs (en fait, de simples tables, point n’est besoin d’être ébéniste pour pratiquer le métier) des textes ou des auteurs sur lesquels je n’avais que très peu de chance de tomber. Amazon essaye bien d’en faire de même, mais avec une telle indigence dans ses algorithmes qu’il m’arrive souvent d’avoir honte des choix qu’on me propose. Au mieux du Guillaume Musso ou du Marc Lévy. Qu’ai-je fait, quelles pages ai-je pu consulter, quelles commandes ai-je pu effectuer, pour que le plus efficace des libraires numériques n’ait que ce genre de livres à me proposer ? Quelle idée se fait de moi Mr Bezos pour ne me proposer que ce choix indigent, parmi les centaines de milliers de titres qu’il se vante de mettre à ma disposition ?

Quoiqu’il en soit, c’est grâce au travail d’un vrai libraire, ou de l’un de ses employés compétents, que j’ai découvert Georges Darien, et son roman « Le voleur ». Georges Darien est un auteur de la fin du dix-neuvième siècle, né en 1862 et mort en 1921. Quand je dis que je l’ai découvert récemment, c’est uniquement que ma mémoire est une passoire dont les trous avec l’âge s’agrandissent dans des proportions alarmantes. Une très longue introduction au roman, signée de Patrick Besnier, professeur à l’université du Mans, m’apprend qu’avant ce livre, Darien (de son vrai nom Georges Adrien) avait publié « Biribi » : une description apocalyptique du bagne de l’armée dans le sud tunisien, où il avait eu le privilège de séjourner 33 mois à la fin du dix-neuvième siècle, suite à ses deux ans obligatoires de service sous les drapeaux. Il y avait montré assez peu d’appétence pour la chose militaire, pour sa hiérarchie en particulier. Ca lui avait valu des prolongations. Ce livre, un oncle anar me l’avait passé dans mon adolescence, et ce n’est pas peu dire qu’il m’avait fait forte impression. Darien a eu quelque mal à le faire publier, son éditeur ayant peur, à juste titre, de s’attirer les foudres de la grande muette. Il était à l’époque imprudent d’en rigoler, très chatouilleuse qu’elle était sur la question de l’honneur, jalouse des lauriers glanés devant Sedan, et de son cadeau subséquent de l’Alsace et de la Loraine à nos amis prussiens. Mais Darien savait trouver des arguments pour se faire publier. Ses lettres aux éditeurs n’avaient rien du « Cher ami, veuillez trouver ci-joint un texte que je soumets à votre avis pour publication… ». Pierre Victor Stock a produit dans ses mémoires une lettre de Darien, à lui adressée : « Si vous ne publiez pas cela, je vous tuerai ». Il avait raison d’insister, Georges, car suite à la parution de Biribi, l’assemblée nationale a voté la suppression des bagnes militaires.

Darien, donc, n’aimait pas l’armée. Il n’aimait pas non plus l’église, le pouvoir, la bourgeoisie, la noblesse, l’école, la médecine, bref, tout ce qui avait la prétention d’exercer le moindre pouvoir sur l’individu. Un anar, un vrai. Mais il n’aimait pas beaucoup plus les anarchistes, beaux parleurs juste bons d’après lui à engraisser les mouchards, non plus que les socialistes dont il détecte avec finesse le penchant pour l’oppression, un flair qui lui fait pressentir le bagne stalinien derrière leur vison utopique de l’avenir radieux de l’humanité. Darien, c’est Hara Kiri de la grande époque, avec un peu d’avance.

Son roman se présente comme un roman feuilleton. Il en adopte les codes, les rebondissements, les coïncidences improbables, les jeunes filles innocentes perverties par d’ignobles bourgeois, les puissants hypocrites et pervers, les riches corrompus qui ne reculent devant aucune ignominie pour s’enrichir un peu, les ecclésiastiques tartuffes, les médecins imbus d’un savoir aussi inutile qu’approximatif mais qui n’oublient pas de réclamer des émoluments conséquents, les enseignants qui ne connaissent que la trique comme outil pédagogique, etc. Mais, à l’inverse d’un Michel Zevaco, autre anar feuilletoniste de la même époque qui tire à boulets rouges sur l’église et le pouvoir, dans des romans historiques fortement influencés par Dumas, on sent que Darien ne se prend pas vraiment au sérieux, son histoire est prétexte à philosopher sur l’état de la société, les rapports de pouvoir, la condition ouvrière. Il démolit tout ce qui bouge, sans la boursouflure suffisante d’un Michel Onfray. Rien de pédant ni de didactique chez lui, alors qu’il est fort bien informé des choses du monde. Mais « Le voleur », c’est avant tout un roman, qui se lit avec plaisir. Les jeunes filles perverties se vengent en plumant le bourgeois, les bourgeoises cocufient à qui mieux mieux leurs tartuffes de maris pour se payer des toilettes à la mode, les voleurs dont il fait l’éloge n’ont rien d’Arsène Lupin ou de Robin des bois, ils ne valent pas mieux que ceux qu’ils détroussent, tout est pourri dans cette troisième république imbue d’elle même, et tout le roman se déroule dans une saine ambiance de jeu de massacre rigolard.

Darien était un anarchiste, qui n’aimait pas trop les anars de son temps. Pas trop du genre bande à Bonnot, Raymond la science et propagande par le fait. Antimilitariste, il prend la parole à un congrès d’anarchistes en Hollande, et propose de provoquer la guerre entre la France et l’Allemagne en allant brûler des drapeaux allemands à Paris, devant l’ambassade prussienne. Quel meilleur moyen de se débarrasser des armées que de les pousser à se faire la guerre? Proposition accueillie assez fraîchement par ses camarades, avec lesquels il était de toutes façons déjà en froid. Il s’est ensuite investi dans la promotion de l’impôt unique, suivant les idées de l’économiste «socialiste» américain Henry Georges, et n’a pas eu un énorme succès : quand il s’est présenté aux législatives et aux municipales à Paris, en 1906 et 1912, il a eu environ 200 voix à chacun des scrutins. Comme quoi on pouvait à l’époque être anarchiste et croire aux élections, alors que dans ma jeunesse, le slogan anar était plutôt « élections, piège à cons ».

Si vous n’avez pas eu la chance d’avoir un tonton anar, vous avez droit à une séance de rattrapage avec ce livre de Darien. Il est édité en poche, il ne coute pas trop cher. Et si vous n’avez pas d’argent pour l’acheter, volez le.

Les affaires reprennent

Un long moment depuis mon dernier post. Manque de motivation, l’impression de revenir sans cesse sur les mêmes obsessions, de tourner en rond.

Ce n’est pourtant pas les sujets manquent dans l’actualité. La planète nous offre au quotidien des feuilletons passionnants, juste avant l’explosion finale. Plein de leaders politiques pour nous tenir en haleine, avec une imagination à faire pâlir d’envie les plus déjantés des scénaristes de séries télé : Trump, Bojo, Bolsonaro, Poutine, Erdogan, Xi, Salvini, Orban, Kim, Duterte, Maduro, Netanyahu, Kaczynski, El Assad, Ben Salman, Sissi, Modi : une sacrée distribution ! Et j’ai laissé tomber les seconds rôles, de moindre importance. Shakespeare lui même n’aurait pas osé. Avec ces gens là, on n’arrête pas de rigoler, de frémir, d’être surpris. Surtout vus d’un peu loin, car, de près, ils sont plus inquiétants. Et président aux destinées de plus de la moitié de l’humanité.

Bref, ils en font tellement qu’on ne saurait plus trop quoi commenter. Alors je me tais un peu. Et puis, pris par d’autres activités, on n’a pas toujours la tête à raconter sa vie. Mais mes nombreuses lectrices ont réussi à me convaincre de m’y remettre : ma maman, car ça lui permet d’avoir quelques nouvelles de moi, et ma chère épouse qui, je cite, préfère me voir occupé à ça qu’à peigner la girafe. Et taper sur un clavier, ça ne fait ni copeaux de bois, ni poussière de plâtre.

Comme j’ai quelques textes en réserve, je m’en vais vous les livrer. Petit à petit, histoire ne pas risquer l’indigestion, ou de lasser le public.

Libros y vinos

On m’avait bien prévenu qu’il y a des quartiers de Buenos aires où les pickpockets sont actifs et talentueux. Je n’y avais cru qu’à moitié, ayant circulé dans des endroits à la réputation autrement plus sulfureuse. Mais je dois rendre hommage à leur dextérité, je n’ai absolument rien senti quand ils m’ont délesté de mon Kindle. Voleurs habiles et talentueux. Mais pas très malins.

Cet objet, âgé d’une dizaine d’années, ce qui en fait une pièce de musée pour un engin électronique, a une valeur marchande qui ne doit pas excéder 5 euros. Soit, au cours local, 5 cafés, ou bien un steak de filet de 600 grammes chez l’assador du coin de la rue. Pas vraiment la peine de courir le risque de se faire prendre la main dans mon sac à dos pour si peu. Quant à son contenu, souhaitons que cet individu soit francophone, sinon il n’en aura que peu d’usage. Mais s’il l’est, il pourra se faire une culture assez complète sur l’auto-édition en langue française, du vraiment mauvais au presque passable, ainsi qu’approfondir sa culture classique, car il contient une montagne d’à peu près tout ce qui est libre de droit et édité par Gutemberg (le site, pas le personnage), de Diderot à Maupassant, en passant par Dickens et Tolstoï. Mais j’ai quand même quelques doutes sur l’intérêt qu’il trouvera à sa prise.

Quoi qu’il en soit, je me suis retrouvé à court de lecture, alors que j’avais anticipé, et que j’avais, avant le départ, chargé l’instrument d’une bonne quantité d’ouvrages aptes à m’occuper l’esprit pendant ce long séjour prévu en Argentine. Comme je suis d’un naturel plutôt positif (sur qui, sinon moi-même, puis-je m’appuyer pour souligner ce trait de mon caractère ?), je me suis dit que c’était une occasion magnifique de m’initier un peu sérieusement à la langue de Cervantes. Je suis donc parti à la recherche d’une librairie dans les environs.

Palermo, le quartier où nous logeons pour quelques jours,  est un endroit assez bobo, en voie de gentrification, comme on dit en bon franglais. On le constate à la densité de boutiques bio (tout en bois, comme chez nous), de boulangeries françaises, de librairies aussi. Il y a même un restaurant végétarien. Je ne sais pas qui a pu fournir les subsides pour une initiative commerciale aussi peu avisée. Il n’y a jamais aucun client. Autant ouvrir une charcuterie dans la médina de Ryad. A ceci près que l’argentin moyen est assez pacifique, tant qu’on se tient éloigné de sujets sensibles comme le football et les malouines, et que, contrairement à son collègue de Ryad,  notre végétarien ne  risque ni sa peau, ni d’être fouetté en place publique jusqu’à ce que mort s’ensuive, ni d’être dépecé dans une ambassade quelconque.

Dans mon quartier bobo donc, parsemé de petits restaurants (non végétariens), de bars à bière locale, de terrasses où l’on vient boire son café le matin et picoler le reste de la journée, il y a une rue Jorge Luis Borges. C’est bien sûr là qu’on trouve le plus de librairies. Dont deux assez intéressantes, à côté l’une de l’autre.

La première est un bar-librairie : on achète un bouquin (ou bien on se contente de l’emprunter sur une étagère), et on peut ensuite le feuilleter devant un café (le matin, donc), ou un verre de bière (locale) ou de vin (argentin) le reste de la journée. J’ai déjà depuis longtemps rencontré ce concept dans beaucoup d’endroits, et je ne peux qu’en soutenir l’idée.

La seconde a adopté une démarche beaucoup plus radicale. C’est une librairie-vinothèque. On y trouve une très riche collection d’ouvrages (dont le dernier Houellebecq, déjà traduit en espagnol, en vente partout ici, la mondialisation fait des ravages jusque dans les derniers retranchements des hommes ( et des femmes) de bonne volonté), plein d’ouvrages donc, essentiellement en espagnol (je n’ai pas vérifié s’il s’agissait de la pure langue castillane ou de sa variante porteña, bien incapable encore d’en apprécier les nuances). Et, surtout, une magnifique collection de vins argentins. Je ne connaissais de ceux-ci que ceux qu’on veut bien nous faire parvenir de l’autre côté de l’atlantique (encore que j’en aie souvent trouvé au Canada, aux Etats désunis et jusqu’en Chine), mais je n’avais jamais réalisé la richesse de l’offre qu’un libraire un tant soit peu attentif peut proposer à sa clientèle. Il y en a dans toutes les gammes de prix, de quelques euros à une cinquantaine d’iceux, dans tous les cépages (alors que je croyais qu’ils s’étaient par principe cantonnés dans ce pays au Malbec), et de toutes les couleurs. Je n’aurais sans doute pas trop des 7 semaines que devrait durer mon séjour pour me faire une culture.

En attendant, je suis ressorti avec deux livres (dont l’un traduit de l’italien, jusqu’où va se nicher le vice?), et plein de bonnes idées pour enrayer le déclin des librairies, dans nos villes livrées sans défense aux marques, aux banques, et aux gilets jaunes.

Mal comprenants

A l’écoute de France-culture ce matin (ma radio cul) : 21 pour cent des jeunes n’ont jamais entendu parler du génocide des juifs (on n’a pas utilisé le mot shoah, trop compliqué). Grosso modo, un sur cinq. J’avais il y a quelque temps déjà souligné qu’environ un sur cinq croit que la terre est plate. Environ la même proportion a voté pour Marine le Pen au premier tour des dernières élections présidentielles.

La première question que doit se poser un probabiliste (ce que j’ai essayé d’être) ou un statisticien (que je n’ai jamais été, mais que j’ai pas mal fréquenté), c’est de savoir si ces événements sont indépendants, ou bien s’il y a une variable cachée qui expliquerait le phénomène.

Osons quelques pronostics : un sur cinq doit croire que la langue naturelle des anglais est l’arabe, que la pizza vient de Belgique, que le lait vient des pommiers (et que les vaches se nourrissent de hamburgers), que Charles de Gaulle a été couronné empereur en l’an 800. Bref, un sur cinq fait partie de ceux qui osent tout (c’est à ça qu’on les reconnaît), ceux qui n’auront pas fini de tourner quand on les mettra sur orbite, ceux qui gagnent toujours car ils sont trop nombreux, ceux pour qui le temps ne fait rien à l’affaire. J’ai cité les mal-comprenants (j’ai longtemps cru que cette expression était de Coluche, mais rendons à Guy Bedos ce qui lui appartient).

On a de la chance, chez nous, ils ne représentent qu’un cinquième des jeunes (pour l’instant). Sans doute trouve-t-on la même proportion dans la population dans son ensemble. Ils se méfient des média, s’informent sur Russia today (devenue RT-France, pour qu’on ne la reconnaisse pas, avec eux, ça devrait marcher), interviennent sur internet sur n’importe quel sujet. Dans certains pays, autour de nous, leur foule a fini par atteindre la majorité. Et à porter quelqu’un qui les comprenne au pouvoir, qu’il ne lâchera pas de sitôt, ou encore à prendre par référendum des décisions audacieuses.

Ne nous réjouissons pas trop vite. Je sens la marée monter.

Devoir à la maison

Je viens de recevoir la lettre de notre président.

Quand je dis que je l’ai reçue, c’est un abus de langage. Il a fallu que j’aille moi-même la chercher sur Internet. Il aurait pu faire un petit effort, et me l’envoyer par la poste, avec un joli timbre, qu’il aurait choisi avec soin sur le catalogue proposé par la guichetière. Mais il semble qu’il ait voulu l’envoyer à plein de monde, et là, du coup, je comprends le procédé. Les frais d’affranchissement auraient été un peu élevés, et, en plus, tout le paquet, ça doit être assez encombrant, peser un âne mort. Sans compter qu’à l’élysée la poste la plus proche n’est pas juste à côté.

Je m’attendais un peu à ce qu’il donne des nouvelles de sa santé, nous raconte comment ça se passe, toutes les rencontres intéressantes qu’il a pu faire dans son nouveau boulot, nous distille quelques anecdotes croustillantes sur Trump ou Poutine, nous parle un peu de Brigitte et des enfants. Grosse déception : c’est en fait un devoir maison qu’il nous distribue, et qu’on a à peu près un mois pour rendre. Avec plein de question vaches.

Là, je ne suis pas sûr, même en m’appliquant, d’avoir la moyenne. Il faut d’abord bien lire le texte introductif, ça peut éviter pas mal de pièges. Et, surtout, ne pas faire de contresens.

On m’a appris il y a longtemps qu’il ne faut pas traîner pour faire ses devoirs ; après on a l’esprit tranquille, on peut retrouver ses legos ou rejoindre ses potes sur Facebook. Je n’ai que très rarement suivi ce principe, mais je vais quand même essayer. Pour l’instant, c’est un brouillon ; je remettrai ça au propre un peu plus tard, avec un marge de trois carreaux à gauche pour qu’il puisse corriger en rouge. Ou plutôt à droite, la marge. Il n’aime pas beaucoup écrire à gauche, ça le bloque, ça va le mettre de mauvaise humeur et faire baisser ma note.

Relisons le sujet. Il y a quatre groupes de questions. On va donc prendre ça dans l’ordre.

Tout d’abord, la fiscalité. Comment la rendre plus juste et efficace, et dans quoi faut-il tailler au niveau des dépenses publiques pour baisser les impôts. Là, il faut faire attention avant de répondre. Le hors sujet est vite arrivé. Naïvement, j’allais proposer de consacrer autant d’efforts pour essayer de récupérer les 60 à 100 milliards d’euros de fraude fiscale que les 600 millions de fraudes aux prestations sociales (allocs, RSA, APL, sécu, etc.). Si on compte bien, ça serait 100 fois plus rentable. Mais j’imagine que ce n’est pas si facile. La fraude fiscale, c’est plutôt le fait de gens qui sont malins, qui ont des avocats et des conseillers fiscaux ; c’est plus difficile à traquer que de tomber sur des pauvres qui se croient plus rusés que les autres, qui escroquent à la petite semaine, qui n’ont pas les moyens de filer en Suisse à la première alerte, et qui se font prendre bêtement la main dans le pot de confiture. Pourtant, comme il y en a moins, des fraudeurs fiscaux à quelques millions pièce, ça doit demander moins de personnel pour les pister.

Et puis, j’aurais suggéré d’arrêter d’organiser des funérailles nationales pour les exilés fiscaux, fussent-ils chanteurs populaires, mais plutôt pour Marcel, qui n’a jamais caché un centime de ses faibles revenus à son percepteur, qui n’a jamais pris un congé maladie sauf à être au lit avec 40 de fièvre, qui a toujours payé sa redevance télé, donné ses étrennes au facteur et aux pompiers, en échange d’un calendrier décoré de photos de chats et chiens aux couleurs criardes, mais qui auront égayé sa cuisine tout au long de son existence. Et on pourrait plutôt essayer de taxer tous ces résidents suisses, belges, luxembourgeois, jersiais, guernesiais et consorts, au moins sur les revenus qu’ils génèrent sur leurs activités hexagonales.

On pourrait aussi essayer de taxer les revenus du capital au même niveau que ceux du travail, charges sociales comprises. Imaginer par exemple qu’ils  soient soumis aux mêmes prélèvements de sécurité sociale, retraite et autre, que les salaires,  puis de les intégrer au revenu global pour le calcul de l’impôt.

Remarquez que je ne suggère pas de revenir sur la suppression de l’ISF. J’ai bien compris que, chez notre président, le sujet est sensible. Il ne veut surtout pas donner la même image que son prédécesseur, annulant chaque matin les mesures décidées la veille au soir. Son ego en pâtirait, et ses blessures narcissiques handicaperaient à coup sûr sa capacité à conduire d’une main ferme les affaires de la nation. D’autant plus qu’on a  bien saisi que cet impôt était complètement inepte, ne serait-ce que son nom, un oxymore. Depuis quand a-t-on vu les fortunés être solidaires de qui que ce soit ?

On n’abordera pas non plus la question de l’héritage et de sa taxation. Taxer, de façon progressive et continue, les héritages à partir du patrimoine médian, ou de son double ? Quelle grossièreté ! Restons corrects, et courtois. Même à Cuba, ils n’oseraient pas.

Je ne parle pas non plus de l’optimisation fiscale ; il me semble que les termes du débat qu’on nous propose n’abordent pas trop la question. La question se résume à « quels impôts vous voulez supprimer (et là, ça s’adresse vraiment à la classe moyenne, ceux des riches ont été supprimés il y a longtemps déjà), et en échange, de quels services êtes vous prêts à vous passer : pompiers ou infirmières, hôpitaux ou universités ? »

Bref, sur ce premier volet, je ne crois pas j’obtiendrai à peine mieux qu’un médiocre, et, plus sûrement, un « hors sujet ».

J’aurai peut-être plus de chance avec le deuxième point: l’organisation de l’état et des collectivités publiques. Mais je n’ai pas trop d’idées sur la question, au delà des lieux communs et des idées toutes faites, glanées dans la rue et au comptoir du bistrot du coin.

On pourrait sans doute discuter de la pertinence des départements. Mais alors que faire de tous ces présidents de conseils généraux, de ces sièges de conseil général luxueux qui font la fierté de nos préfectures ? Les transformer en abris pour ceux qui n’en ont pas, en sièges sociaux pour les associations qui cherchent à développer l’économie sociale et solidaire, en marchés de producteurs locaux ? Quel gaspillage !! Des si beaux bâtiments pour des marginaux qui ne sauront même pas en apprécier l’audace architecturale.

On pourrait aussi se poser la question de la clarification des responsabilités, essayer de déterminer qui décide de quoi. Regarder de près cette multiplication des intermédiaires, qui sert surtout à bloquer toute forme d’initiative, et, contrairement à la devise trop connue du guépard, s’assurer « Que rien ne change pour que rien ne bouge ». On étudierait avec attention le cas d’école du fonds Leader, le programme européen de développement de projets ruraux, et comment l’Europe a alloué à la France 700 millions d’euros pour favoriser des initiatives, sur la période 2017-2020, et pourquoi, à un an de l’échéance, seuls 3% de ces fonds ont été dépensés, car les responsables locaux (français, pas européens) aptes à distribuer l’argent se font tirer l’oreille, et préfèrent rendre le fric à Bruxelles plutôt que de faire des chèques à des projets pourtant dûment avalisés par moult commissions et comités d’évaluation. On pourrait par exemple s’informer sur cette charmante affaire sur ce site, mais il est loin d’être le seul à en parler. J’ai pris cet exemple, car mon attention a été attirée dessus, mais il y en a tant d’autres, dûs essentiellement au phénomène du parapluie : surtout, ne prendre aucune décision, car si jamais il y a un pépin, c’est sur moi que ça va tomber.

Encore une fois, je vois bien que ce n’est pas là dessus que je vais gagner des points.

Le troisième sujet porte sur l’écologie. C’est un domaine qui lui tient à cœur, au président, ça se sent, ces choses là. Remplacer les vieilles guimbardes comme la mienne par une Tesla, que voilà une bonne idée. Avec une bonne subvention de l’état, une prime à la casse, j’arriverais à couvrir facilement 3% des frais de remplacement de mon véhicule. Mais, si j’ai bien compris, hors sujet de faire payer les poids lourds pour les nuisances, de placer des portiques prompts à faire se couvrir les gilets jaunes de bonnets rouges, d’imposer le ferroutage pour le frêt en transit comme en Suisse. Pas question non plus d’un immense chantier de réhabilitation et d’isolation des bâtiments publics. Dans l’université dans laquelle j’ai travaillé de nombreuses années, on utilisera encore longtemps, dans tous les bureaux, des radiateurs électriques l’hiver pour dépasser les 15 degrés, et des ventilateurs l’été pour supporter les 40 degrés. Car tout cela coûte très cher, un pognon dingue, de nouvelles fenêtres et une isolation convenable. Et pas un élu ne va financer ce genre de travaux, pour lesquels il n’y aura aucun ruban à couper le jour de l’inauguration, et pour lesquels aucun journal ne publiera donc sa photo à la une.

Pas question non plus de l’interdiction définitive des plastiques non recyclables, ou d’une taxe sur la production des déchets, à payer, non par le consommateur en bout de chaîne, mais par le producteur, ou éventuellement le revendeur. Cela nuirait au développement de l’activité économique, à l’émergence de la start-up nation, on l’a bien compris. Et on ne va pas empêcher Amazon de continuer à détruire ses invendus, on ne fait pas d’omelette (bien baveuse) sans casser la planète. Et arrêtez d’emmerder toujours les mêmes !

On voit aussi que la diminution de la biodiversité inquiète la présidence. C’est un sujet qu’elle prend à bras le corps. Sur la préservation des espèces, elle est en première ligne ; ses amis les chasseurs de la baie de Somme sont là pour en témoigner. Moi, j’aurais fait porter mes efforts sur les pesticides, les néonicotinoïdes en particulier, mais là, si le président n’a rien fait, c’est qu’il a sans doute ses raisons. Il a peut-être une dent contre les abeilles, il s’est fait piquer trop souvent dans son enfance (est-il sûr qu’il ne s’agissait pas de guêpes?).

Mais on lui sait gré de savoir regarder tous les aspects d’une question, de pratiquer ce « et en même temps » qui structure sa pensée. C’est ce qui lui a permis d’être sensible aux arguments des messieurs de Monsanto, et de tenir pour billevesées les indications sur le caractère cancérigène du glyphosate. Il y aurait pourtant pas mal à faire, dans le soutien à l’agriculture raisonnée, aux associations de consommateurs qui aident les producteurs, comme par exemple La Marque des Consommateurs. Là encore,  c’est apparement hors sujet.

Reste enfin la question centrale, celle qui fait descendre les gilets jaunes dans la rue, qui fait sourdre dans les campagnes le grondement féroce du peuple : la question constitutionnelle. On voit bien que c’est le rôle du Sénat qui pose problème, qui bloque la société, qui engendre colère et frustration. Et ce n’est pas d’hier. Le grand Charles lui-même avait essayé de bousculer cette vénérable institution. Mal lui en a pris. Jusqu’ici, je n’avais pas du Sénat une trop mauvaise opinion. Je n’avais pas d’opinion du tout. Un club de vieux messieurs (peu de dames, en effet, dans ce cénacle), qui ont trouvé un endroit agréable pour se chauffer aux frais de la république. Cela coûte cher, me dira-t-on. Sans doute parce qu’on ne connaît pas bien les tarifs des Ephad. Ces sénateurs, on ne sait pas trop qui les élit, ni ce qu’ils font vraiment, ni s’ils font quelque chose. Mais, contrairement à l’assemblée, ils ne reflètent pas les derniers engouements à la mode. Le temps que les mouvements de fond de l’opinion apparaissent au Sénat, le monde est passé à autre chose. On y verra sans doute bientôt pointer les leaders de mai 68. Le temps du Sénat n’est pas celui des députés et des présidents. C’est compliqué, les échelles de temps. Entre le Sénat et l’assemblée, il y a la même différence qu’entre la météo et la climatologie. Et ce n’est pas toujours facile à saisir, cette histoire d’échelle de temps, même pour certains savants, académiciens, comme Claude Allègre ou Vincent Courtillot. Mais c’est important.

Réformer le Sénat, donc ? Le supprimer, plutôt. Mais par quoi le remplacer ? J’aurais bien quelques suggestions : une assemblée entièrement désignée par le Medef. Elle serait beaucoup plus au fait des contraintes économiques qui pèsent sur le pays, et des charges qui écrasent les plus riches et les poussent à s’exiler dans les pays limitrophes, plus accueillants que ces ingrats de compatriotes. Ou bien entièrement désignée par le président de la république. Qu’on pourrait dissoudre à chaque fois qu’elle contrarierait ses visées (là, je suis sûr d’être dans le sujet, je vais glaner des points). Ou bien désignée par le parti, comme en Chine (il faudrait décider de quel parti il s’agit, mais les choses deviendront plus claires lorsque Madame Le Pen sera au pouvoir). A la vérité, le Sénat, je ne vois pas trop quoi en faire, des sénateurs encore moins. Pourquoi ne pas laisser les choses en l’état, et arrêter d’embêter ces pauvres vieillards, qui, de toute façon, ne font de mal à personne.

Reste la question du vote blanc. Encore une question cruciale. C’est bien celle là qui a amené ce divorce entre le peuple et les élites, si dommageable au business. Reconnaissons le, ce vote blanc, tout se suite. Mais des questions surgissent immédiatement. Imaginons qu’à la présidentielle, on n’ait le choix, au deuxième tour, qu’entre un candidat et le blanc, qui serait arrivé en première ou seconde position au premier tour. Et qu’à l’issue du second tour, ce soit le blanc qui l’emporte. Pas de président pendant un quinquennat. Jupiter remplacé par le vide. Perspective vertigineuse. Le pays s’en remettrait-il ? Contre qui défiler dans la rue ? Un cauchemar, donc. J’aime mieux ne pas y penser.

En conclusion, je sens bien que ma réflection n’est pas mûre. Il va falloir que je reprenne ma copie. Sinon, je vais être très loin de la moyenne.