Il m’est arrivé l’autre matin une aventure assez désagréable, alors que je sortais de la poste après m’être légèrement énervé contre la stupidité de la machine qui sert à affranchir les colis. J’ai eu une petite altercation avec une femme hautaine et élégante, qui refusa d’éteindre son moteur pendant qu’elle faisait la queue au distributeur de billets. L’échange s’est terminé par quelques noms d’oiseaux, encore que je doute de l’existence d’oiseaux dont le nom s’approche des qualificatifs peu flatteurs dont j’ai abreuvé cette péronnelle, et que je ne reproduirai pas ici pour ne pas m’aliéner les quelques hypothétiques lecteurs m’imaginant civilisé.
Je suis malheureusement affligé de l’esprit de l’escalier, et ce n’est que de retour chez moi que j’ai compris ce que je j’aurais dû faire. En gage de piètre consolation, je me suis plu à imaginer une autre issue à notre échange un peu vif.
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Et tout ça cause d’un vieux schnock qui a peur de se salir les poumons. Une chambre toute blanche, les murs matelassés, la porte fermée à double tour. Ils ont dû m’en foutre une sacrée dose pour que je sois dans un tel pâté. J’ai quand même eu un peu de mal à reconstituer tout ce binz.
Tout a commencé avec ce vieux qui enlevait le cadenas de son vélo, et qui m’a demandé d’éteindre mon moteur de bagnole pendant que je faisais la queue au distribanque. Soit disant que ça sentait mauvais, et que ça polluait. Première mauvaise idée, je n’aurais peut-être pas dû lui répondre d’aller se calmer en allant pédaler. Et je n’aurais pas non plus dû laisser la porte conducteur grande ouverte. Car voilà l’autre débris qui monte dans ma voiture, qui coupe le moteur, qui enlève la clé et qui la balance par dessus la grille de la gendarmerie. Et qui se casse tranquille, en me faisant un doigt d’honneur, par dessus le marché.
Bien obligée d’aller sonner au portail de la maréchaussée.
–Gendarmerie Nationale j’écoute ?
–Oui, c’est à propos de mon trousseau de clé de voiture qui est dans votre jardin.
–Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je vous rappelle que les plaisanteries vis à vis de la gendarmerie sont passibles de poursuites.
–Non non, c’est très sérieux. Un individu s’est emparé de mes clés de voiture et les a jetées par dessus votre grille.
–Il vous les a arrachées des mains ?
–Non, je faisais la queue au distribanque de la poste, juste à côté, et il les a prises dans la voiture.
–Vous laissez les clés au volant pendant que vous faites la queue au distribanque ?
–J’en avais pour une minute.
–Et comment a-t-il su que vous aviez laissé la clé sur le contact ?
C’est là que j’ai fait ma deuxième grosse erreur. J’ai péché par honnêteté.
–C’est parce que j’avais laissé le moteur tourner. Je n’en avais pas pour longtemps.
–Vous savez que c’est passible d’une amende de 175 euros, de laisser son moteur tourner en pleine ville ?
–Oh, j’ignorais. Je suis désolée. Vous pouvez m’ouvrir s’il vous plait ?
–Restez à la porte, on va venir vous chercher.
Et je vois arriver un gendarme bien en chair, l’air peu aimable.
–Et où elles sont, ces clés ?
–Ben, le vieux il les a lancées par là.
–En plein milieu des massifs de fleurs.
Le voilà à quatre pattes en train de regarder. Il se relève avec mon trousseau à la main.
–C’est bien celles là ?
–Oui, merci, vous êtes bien aimable.
Mais, au moment où je tends la main pour les lui reprendre,
–Holà, pas si vite. Qu’est-ce qui me prouve que ces clés sont à vous ?
–Ben, je les ai reconnues, non ?
–Et bien moi, si je vais au Louvre, je reconnais la Joconde, c’est pas pour autant qu’elle est à moi. Tout d’abord, vos papiers, et ceux du véhicule.
J’avais heureusement ma carte d’identité sur moi, mais, pour ceux de la voiture, normalement, ils sont dans la boîte à gants. Je lui explique, il me répond que ce n’est pas prudent. Et ce connard me garde ma carte d’identité pendant que je vais chercher les papiers. Pas de chance, on les avait sortis de la voiture la veille avec Hugo pour commander les vignettes crit’air. Et, évidement, cet imbécile de Hugo ne les avait pas remis à leur place. Me revoilà assez penaude dans le commissariat, après avoir attendu à nouveau 5 minutes à la porte, pour expliquer que je n’ai pas les papiers. Le pandore, toujours aussi peu souriant, m’accompagne jusqu’à la voiture pour relever le numéro d’immatriculation, puis on revient dans son bureau. Sans attendre 5 minutes à la porte cette fois, quand on est de la maison, on a quelques privilèges. Il se met à son ordinateur, plutôt à la machine préhistorique qui lui sert d’ordinateur, et rentre mon numéro d’immatriculation. Il lève la tête, beaucoup plus revêche tout d’un coup, et me dit
–Votre véhicule n’est pas immatriculé à votre nom. Je ne peux pas vous donner ces clés.
Je commençais à chauffer un peu. Je lui explique donc que cette voiture est immatriculée au nom d’Hugo, mon conjoint. Il me dit que celui-ci peut venir récupérer les clés du véhicule à la gendarmerie, dès qu’il veut, mais muni de ses papiers d’identité. Je téléphone donc à Hugo. Qui ne répond pas. Ce salaud ne répond jamais quand on a besoin de lui. Au bout du dixième essai, Monsieur accepte de décrocher. Je lui explique la situation, que je suis coincée à la gendarmerie et qu’il a intérêt à se ramener vite fait pour récupérer les clés de sa caisse.
–Pas question, je suis en réunion. Pas avant ce soir.
–Ecoute, je te passe le brigadier, il va t’expliquer lui-même la situation.
Je me voyais mal poireauter toute la journée dans le coin en attendant que Monsieur veuille bien se déplacer. C’était ma troisième mauvaise idée. J’avais simplement oublié qu’on s’était bien pris le chou le matin, et qu’Hugo était parti de fort méchante humeur. Ca me revient quand le gendarme, après quelques minutes, me rend le téléphone d’un air très très contrarié.
–Ce monsieur prétend ne pas vous connaître, et ne pas savoir ce que vous faîtes avec sa voiture.
C’est vraiment un enfoiré de première. Là, j’ai eu ma quatrième mauvaise idée. J’ai pété les plombs, engueulé le gendarme, l’ai traité de connard de pinailleur, et l’ai sommé de me rendre ces putains de clés, et plus vite que ça.
–Bon, ma petite dame, on va se calmer, et en attendant que cette histoire soit éclaircie, on va vous mettre en garde à vue.
Cinquième mauvaise idée, prendre l’ordinateur sur le bureau et le fracasser par terre en hurlant. C’est là que mon cas s’est aggravé brusquement. L’autre prend le téléphone, appelle ses collègues en renfort, qui me mettent les menottes aux poignets. Je gueulais si fort que je commençais à m’en fêler les cordes vocales. C’est là qu’un de ses collègues intervient
–On a les moyens de calmer les hystériques dans votre genre, ne vous en faites pas,
et qu’il a appelé l’hôpital, en demandant le service des agités. Dix minutes plus tard, un mec en blouse blanche est arrivé, m’a fait une piqure. Et je me me réveille ici. J’espère qu’Hugo va rapidement venir me sortir de là, mais il va m’entendre. Et cette putain de bagnole qui est toujours sur le parking de la poste. La prochaine fois, je couperai le contact.